Accueil / Le Plus / Où est la maison de mon ami ?

Où est la maison de mon ami ?

Un film d'Abbas Kiarostami

Réalisé en 1987 et primé dans plusieurs festivals, ce film a été pour Abbas Kiarostami(1) le film de la reconnaissance(2) internationale. Son retentissement a joué un rôle important dans le mouvement de curiosité et de diffusion du cinéma iranien qui s’est développé en France. Où est la maison de mon ami ? a ensuite intégré le dispositif École & Cinéma, remportant le succès qu’on lui connaît auprès du jeune public.

Le film raconte l’histoire d’un jeune écolier de Koker, un village du nord de l’Iran. Ahmad, à peine huit ans, rentre chez lui comme chaque soir après la classe. Pendant qu’il aide sa mère aux travaux de la maison, il s’aperçoit qu’il a emporté par mégarde dans son cartable le cahier de son camarade Nématzadé. S’il ne lui rapporte pas au plus vite, ce dernier risque de se faire renvoyer de l’école. Saisi autant par l’effroi que par le sens de l’amitié, il va partir à sa recherche jusqu’à Pochté, le village voisin où habite Nématzadé, pour le lui rendre. La route est longue pour y arriver, mais Ahmad est déterminé dans sa quête. Hélas, il n’a pas l’adresse de son ami… Comment le retrouver ? Filmé à hauteur d’enfant, Où est la maison de mon ami ? appartient aux films dits initiatiques, qui mettent en relation un enfant avec l’univers des adultes, comme La Nuit du chasseur de Charles Laughton ou Les Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang réalisés en 1955. « L’apparente minceur du scénario (un enfant a emporté par erreur le cahier de son ami et s’efforce de réparer cette erreur) cache un film où se jouent des questions aussi essentielles que celles de la loi, du libre arbitre, de la transgression, de la solidarité, de la peur de l’inconnu, de la solitude existentielle, du sentiment du mystère cosmique de l’univers. » C’est ainsi qu’Alain Bergala analyse le film dans l’excellent Cahier de notes sur…(3), ajoutant « qu’il nous fait partager un éventail d’affects et d’émotions de la plus haute gravité ».

Mélange unique de poésie, de documentaire et de fiction, le film ne perd jamais de vue la gravité de son enjeu et se tient constamment à la hauteur du regard de l’enfant. Le trajet d’Ahmad, frénétiquement arpenté avec force essoufflements, agacements et désarrois face à l’incompréhension et l’indifférence des adultes, compose la matière du film, avec à la clef un authentique suspense : Ahmad retrouvera-t-il son ami à temps ? Personne ne comprend l’urgence de son problème : ni sa famille, ni aucun adulte. Ahmad va alors devoir dénouer l’écheveau des obligations et des contradictions dans lesquelles les grands l’enserrent pour trouver son chemin de petit d’homme et sauver son ami.(4) Croyant chercher une maison pour y rendre un cahier, Ahmad est entré dans un voyage d’apprentissage qui le conduit loin de sa maison et de son village, en territoire inconnu, et découvre in fine que le véritable objet de sa quête est d’un tout autre ordre, la révélation d’un mystère qui le fera grandir d’un coup et lui donnera en un seul jour accès à une vérité supérieure sur lui même et sur le monde. À l’issue de cette journée ponctuée d’épreuves initiatiques et du film, il s’est constitué en sujet libre et autonome, affranchi de la peur de la loi, capable d’aider les autres et d’agir selon sa propre volonté. Il a ainsi pu accéder à la fois au mystère du monde et au libre arbitre.

Des pistes pour la classe avant la projection :

Préparer la projection du film et créer un horizon d’attente en appui sur le titre et l’affiche. Repérer des indices et émettre des hypothèses (que l’on note et qui seront validées ou pas après la projection). Quelques exemples de questions pour conduire l’observation : quel type de film va-t-on voir ? De quoi va-t-il nous parler ? Qu’est-ce qui nous l’indique dans l’image ? Le titre peut-il nous aider ? Que peut-on dire du personnage ? Quelle histoire peut-on imaginer à partir de cette affiche ? Travailler à partir du générique de début pour prélever des indices visuels et sonores et mettre en appétit avant la projection sans dévoiler l’histoire.

Après la projection :

Exprimer son ressenti en approfondissant son argumentation. Revenir sur les hypothèses émises, les valider ou non. Échanger sur l’histoire elle-même, sur les problématiques soulevées par le film, et inviter les enfants à préciser ce qui les a le plus touché·es dans le film : quel passage particulièrement ? Quelle·s scène·s ? Dessiner un plan qui leur revient et qui les a marqué·es. Revenir sur certaines scènes du film pour connaître leur point de vue. Rechercher ce qui relève de la fiction et ce qui relève du documentaire. Pour cela, faire sous forme de tableau le relevé de toutes les informations documentaires que ce film dit de fiction peut apporter sur la vie d’un petit village iranien : l’habitat, les rapports au sein de la famille, la participation aux tâches familiales, les liens de parenté, les différences hommes-femmes et filles-garçons, la classe et le rapport au maître, les rues du village, le paysage…

Décrire également :

  • ■ Les personnages de l’histoire et leurs caractéristiques, comme le maître intransigeant et sévère, Ahmad le généreux, Nématzadé le grand absent, les parents d’Ahmad extérieurs au drame, le vieil homme pour la sagesse et l’apprentissage, etc.

  • ■ Les animaux. On pourra relever toutes les apparitions d’animaux dans le film et analyser, au cas par cas, la fonction et la coloration psychologique de ces présences animales par rapport à la situation d’Ahmad. Il serait aussi intéressant d’analyser le mode de surgissement et de présence de ces animaux dans les différentes scènes du film, notamment par rapport au in et au off.

  • ■ Les objets – le cahier, les portes et les fenêtres. Quelle symbolique ? Quels rôles jouent-ils ? Participent-ils au suspense ? Comment ?

Le sens de la dramaturgie à travers les dispositifs narratifs :

  • ➜ Montrer comment les événements qui ponctuent le trajet d’Ahmad ne cessent de retarder sa rencontre avec Nématzadé tout en créant un autre récit, plus contemplatif (les rencontres avec les gens du village, les discussions avec le vieil homme).

  • ➜ Tracer ou imaginer le parcours géographique d’Ahmad.

  • ➜ Reconstituer (chronologiquement) les différentes épreuves qu’il va devoir surmonter pour atteindre son but.

  • ➜ Les ordonner selon qu’elles paraissent plus ou moins difficiles à surmonter.

  • ➜ Établir la liste des lieux, dans l’ordre chronologique. La classe. La maison d’Ahmad. Les rues de Koker. Le sentier sur la colline. Pochté. Le sentier. Les rues de Koker. Le sentier. Pochté. Ellipse du retour à Koker dans la nuit. La maison d’Ahmad. La classe.

  • ➜ Mettre ainsi en évidence la symétrie des lieux dans lesquels se déroule le parcours d’Ahmad. Cette symétrie est seulement atténuée par l’absence de la narration du dernier voyage retour à Koker dans la nuit (ellipse dans l’espace et dans le temps). Schématiser au tableau le parcours d’Ahmad (le « Z » du chemin, construit pour les besoins du film). Revenir sur des extraits du film pour mieux appréhender la distance qui sépare les deux villages et les efforts accomplis par Ahmad. Montrer comment Kiarostami réussit à nous la faire saisir par les plans généraux très brefs.

La structure en boucle

Le réalisateur ouvre et termine son film avec des scènes quasiment identiques mais dramatiquement différentes. Revenir sur ces deux passages. Comment le réalisateur a-t-il fait monter l’intensité dramatique entre ces deux scènes ? Comparer avec des extraits du court métrage Le Pain et la Rue du même réalisateur.

Prolonger par des apports culturels en éducation musicale et histoire des arts

  • ■ Écouter de la musique iranienne ou persane, découvrir les instruments de musique traditionnels et de la poésie persane à travers l’œuvre du poète iranien Sohrad Sepehri et de son poème La Demeure de l’ami, auquel le film est dédié, ou Les Cinq Poèmes de Nezâmî, manuscrit persan du XVIIe siècle.

  • ■ En arts plastiques, faire travailler à partir de recherches sur les miniatures persanes et faire découvrir la calligraphie et l’œuvre de Hassan Massoudy, le calligraphe-enchanteur (exposé dans la bibliothèque de l’Institut du monde arabe). S’entraîner à l’écriture calligraphiée. Réaliser, en groupe, le carnet de voyage d’Ahmad en exploitant des éléments plastiques du film : portraits de personnages, éléments architecturaux, portes, fenêtres. Découvrir des artistes et des œuvres sur les portes, l’idée de passage(5).

  • ■ Géographie : situer l’Iran sur une carte et particulièrement la région de Gilan, où se situent les villages de Koker et Pochté.

  • ■ Organiser des ciné-débats et discussions à visée philosophique autour de la responsabilité, la désobéissance, la loi et ses figures ou l’amitié. Qu’est-ce qu’un ami ? Que peut-on faire pour un ami ?

Isabelle Crenn,
membre de l’OCCE 78

  1. Abbas Kiarostami est un réalisateur, scénariste et producteur de cinéma iranien né le 22 juin 1940 à Téhéran en Iran et mort le 4 juillet 2016 en France. Depuis les années 1970, Kiarostami a signé plus de 40 films dont des courts métrages, des documentaires ou encore des films dramatiques. La critique l’a majoritairement loué pour des œuvres telles que Close-up, la trilogie de Koker (Où est la maison de mon ami ? en 1987, Et la vie continue en 1991 et Au travers des oliviers en 1994), Le Goût de la cerise en 1997 et Le vent nous emportera en 1999. Abbas Kiarostami est également poète, photographe, peintre, illustrateur et dessinateur graphiste. Pour en savoir plus, regarder l’émission réalisée à l’occasion de l’exposition « Kiarostami Les chemins de la liberté » et de la rétrospective que le Centre Pompidou a consacré à Abbas Kiarostami, disparu en 2016. Le Mensuel dédie son 11e numéro au cinéaste iranien et à la résonance de son œuvre dans le travail d’une nouvelle génération d’artistes www.youtube.com/watch?v=WHJAZqIvdNE. Enfin, des informations complémentaires sur le film Où est la maison de mon ami ? sont disponibles sur transmettrelecinema.com.

  2. Pour mémoire, son film Le Goût de la cerise a reçu la Palme d’or au festival de Cannes en 1997.

  3. enfants-de-cinema.com/les-cahiers-de-notes/

  4. Écouter Marie Darrieussecq, autrice, à propos d’Où est la maison de mon ami ? d’Abbas Kiarostami : www.youtube.com/watch?v=5nvfTwD7vGU

  5. Consulter le dossier d’accompagnement Photo-Poème#9, élaboré par Isabelle Crenn et le chantier de l'OCCE habiter l'école en poésie, dans la partie « portes de notre imaginaire, portes d’ici et ailleurs » : fr.calameo.com/occe/read/001509837554f565c4f46